lundi 21 décembre 2009

[Analyse] À la place du mort (À propos d’un plan du film Mes chers voisins) par Thibaut Garcia



À la place du mort
(À propos d’un plan du film Mes chers voisins)

Dans le commentaire audio du DVD de Mes chers voisins (La Comunidad, 2000), comédie espagnole à l’humour noir, le réalisateur Alex de la Iglesia attire notre attention sur un détail qui, il le déplore, est passé inaperçu aux yeux des spectateurs : vers la fin du film, sur un plan d’ensemble filmé en plongée, l’héroïne interprétée par Carmen Maura, qui vient de s’introduire dans un appartement au prix d’une éprouvante séance d’escalade, s’écroule, épuisée, à l’emplacement exact où se trouve la trace d’un cadavre fraîchement enlevé. Cette trace est en effet difficile à distinguer au premier visionnement mais saute aux yeux dès que l’on y prête attention, et le cinéaste a raison de souligner ce qui est sans doute l’une des plus belles images du film : il semble que la trace ait attendu que Julia, l’héroïne, vienne prendre la place du mort. Ce mort, nous le savons dès le début, est un vieillard victime d’une crise cardiaque plusieurs semaines auparavant et dont le corps a été découvert dans un état de décomposition avancé. Véritable trou à rats, l’appartement porte encore les stigmates des conditions insalubres dans lesquelles vivait cet homme qui se cloîtrait chez lui par peur de ses voisins.


Alex de la Iglesia aime situer l’action de ses films dans des lieux représentant une forme d’idéal matériel, de perfection, de summum du bon goût, des espèces d’oasis du monde urbain où il serait possible de tenir un siège : l’archétype en est le centre commercial de Le Crime farpait (Crimen ferpecto, 2004), qui rappelle celui où se réfugient les protagonistes du Zombie de Romero. L’action de Mes chers voisins débute, quant à elle, dans un appartement que Julia, agent immobilier, fait visiter à des clients : « le genre d’appartement hallucinant, dit-elle, où il n’y a plus qu’à s’installer ». D’ambiance cosy, lumineux, décoré à la manière des années cinquante mais équipé de tout le confort moderne, ce logis qui contraste avec la vétusté de l’immeuble est même si bien garni qu’on le croirait encore habité. En le découvrant en même temps que ses clients, Julia est presque aussi surprise que nous qui nous attendions à trouver derrière la porte le cadavre dévoilé dès la première séquence, juste avant le magistral générique d’ouverture inspiré de Saul Bass. Ce qui intéresse Alex de la Iglesia est de suggérer, dès la première image, la menace qui plane sur cet espace clos, confortable et rassurant, d’ouvrir des brèches par lesquelles l’extérieur, inquiétant, va peu à peu l’investir, et de regarder se fissurer ce décor trop parfait pour ne rien dissimuler. Ses clients partis, Julia, séduite par l’appartement et peu soucieuse de déontologie, décide d’y organiser un dîner romantique avec son mari Ricardo à l’insu de l’agence immobilière qui l’emploie. Le repas terminé, le couple se jette sur le luxueux lit à eau trônant au milieu de la chambre. Alors que Julia s’applique à réveiller le désir endormi de Ricardo, un époux aux antipodes d’elle-même, tellement battu par la vie qu’il ne parvient plus à la satisfaire, la caméra effectue un panoramique vers une brèche du plafond d’où des cafards se mettent à tomber sur les deux personnages. Nous comprenons alors que le cadavre se trouve au-dessus de leurs têtes, ce qui rend d’autant plus morbide à nos yeux la réaction de Julia qui, contre l’avis de son mari, veut à tout prix rester. La porte de la chambre fermée pour ne pas voir les cafards, le couple se réfugie dans le salon où il passe la nuit sur le canapé. Le lendemain matin, c’est un dégât des eaux que Julia tente de minimiser auprès de nouveaux visiteurs débarqués à l’improviste, alors que la chambre est inondée suite à une rupture de canalisation dans l’appartement du dessus : que ces clients veuillent prévenir les pompiers l’ennuie visiblement. Tout se passe comme si l’héroïne ne voulait pas voir ce qui devrait la pousser à quitter les lieux. Par la suite, tout la ramènera dans cet appartement qui représente ce qu’elle a toujours voulu avoir. Même la découverte du cadavre par les pompiers ne la rebute en rien : au contraire, pressentant une énigme à résoudre, elle se rend la nuit suivante chez le défunt où elle découvre, caché sous une dalle du carrelage, un improbable magot de trois cents millions de pesetas. Dès lors, le climat du film, tout en restant fondamentalement comique, glisse peu à peu de l’angoisse à la terreur, Julia devenant la nouvelle cible d’un voisinage envahissant qui n’attendait que la mort du vieil homme pour faire main basse sur son argent. Tels des cafards, les voisins vont tout mettre en œuvre pour s’introduire dans le coquet appartement ou l’héroïne a élu domicile, l’espionnant, la harcelant et cherchant au bout du compte à la tuer.


En réalité, Julia occupe déjà la place d’un mort, l’appartement étant, comme nous l’apprenons de la bouche des locataires, celui d'un ingénieur éliminé par la communauté pour avoir refusé de signer un pacte. Nous ne verrons jamais ce personnage dans le film, comme si son corps s’était volatilisé. Ainsi s’explique l’étrangeté de ce logis entièrement meublé, équipé et empli de provisions, étrangeté que Julia préférait néanmoins ignorer, n’y voyant que la trop belle opportunité d’un lieu idyllique à habiter. Prise au piège de l’appartement cerné par les voisins, l’héroïne trouve refuge chez le locataire du dessus, après avoir escaladé la façade de l’immeuble. Il est significatif qu’elle se retrouve finalement dans cet antre sale et nauséabond qui représente tout ce qu’elle paraissait vouloir occulter : l’envers du décor, la pourriture, aussi bien matérielle que spirituelle, côtoyant ce qui fut son havre de paix. Il ne faut pourtant pas croire que Julia refuse de voir la mort en face : au contraire, nous l’avons vue, au début du film, regarder par l’entrebâillement d’une porte, les yeux écarquillés, à l’intérieur de la pièce où les pompiers examinaient le corps putréfié. D’autre part, elle n’a pas hésité à revenir sur les lieux pour y chercher le trésor. Audacieuse, Julia doit à ce trait de caractère plus que le « coup de chance » faisant d’elle une multimillionnaire : sa survie. Si elle se trouve en mauvaise posture, c’est certes pour n’avoir pas tenu compte de l’avertissement incarné par le cadavre au-dessus de sa tête, mais dans son désir presque entêté de continuer à occuper l’appartement de l’ingénieur, elle a intégré cette présence de la mort comme un simple élément nouveau qui ne devait pas pour autant contrarier ses projets. Ceci confère à son personnage une dimension à la fois comique, par son obstination à rester quand tout devrait la pousser à fuir, et tragique, par cette forme supérieure de lucidité, proche de la folie, qui la pousse à accepter la mort comme la chose la plus naturelle qui soit.

De La Nuit du chasseur à celle des morts-vivants en passant par Shining de Kubrick ou plusieurs films de Carpenter (Assaut, Halloween…), dans la plupart des scénarios de terreur bâtis sur le modèle du huis-clos, lorsque l’assaillant finit par investir l’endroit où les héros s’étaient retranchés, ces derniers n’ont plus qu’à se replier vers un espace encore plus exigu : cave, salle de bain, placard… Dans Mes chers voisins, la grande idée du scénario consiste en ce que Julia, à la fin du film, trouve refuge au lieu même d’où l’on pensait au début qu’allait venir le danger. Julia prend non seulement la place du mort, mais aussi celle des cafards qui tombaient du plafond dans la scène du lit : regardant par un interstice du carrelage, elle voit à l’étage du dessous les voisins fouillant frénétiquement la chambre. Vu en plongée, l’appartement autrefois si accueillant, devenu le territoire d’un ennemi dépersonnalisé, déshumanisé, sous l’emprise de la cupidité et d’une folie meurtrière collective, prend des allures de fosse infernale. C’est d’ailleurs par le chemin opposé, en s’enfuyant par les toits, que Julia parviendra à échapper à la meute, un salut digne d’un deus ex machina qu’elle aura gagné pour avoir osé passer de l’autre côté du décor de comédie, dans son envers lugubre, sale et puant. Et ce plan où Julia, en tailleur rose encore presque impeccable malgré la lutte, les blessures au couteau et l’escalade sous la pluie, s’effondre sur la trace du cadavre, au milieu d’une pièce au vieux carrelage en damier couvert de moisissure et d’immondices, semble nous dire que ce personnage tiré à quatre épingles, qui semblait si bien assorti à son ancien décor, trouve finalement dans cette coulisse à l’atmosphère sordide sa vraie place, sa vraie profondeur tragique, même si nous sommes bel et bien dans une comédie et que Julia ne s’identifie en cet instant au vieillard décédé que pour mieux réussir, par la suite, là où celui-ci a échoué.

Thibaut Garcia,
Docteur en cinéma et audiovisuel, Université Paul Valéry,
Montpellier III

vendredi 28 août 2009

Appel à communications : Colloque « La lettre au cinéma », Université d'Artois, les 9 et 10 novembre 2010

Equipe d’accueil « Textes & Cultures »

Colloque « La lettre au cinéma »

Après le succès des colloques « La ville au cinéma » (2004), « L’enfant au cinéma » (2006), « Le son au cinéma » (2008), l’Equipe d’Accueil « Textes et Cultures » organise un nouveau rassemblement scientifique autour de « La lettre au cinéma », les 9 et 10 novembre 2010.
Le terme de « lettre » est à prendre dans sa plus grande richesse polysémique : comme élément du signifié, il peut s’agir des lettres écrites et lues dans tant de narrations filmiques, simples billets rédigés à la main, à la machine, à l’ordinateur... C’est ainsi que l’entend l’ouvrage récent, Lettres de cinéma : de la missive au film-lettre (dir. Nicole Cloarec, 2007) : « L’écriture épistolaire articule en
effet une mise en scène de soi (accès à la subjectivité des personnages) et un pouvoir performatif des messages (lettres de dénonciation, de déclaration ou de rupture) qui en fait un agent dramatique remarquable » (p. 13). On entendra donc le terme dans cette acception traditionnelle, en pensant également aux journaux intimes, aux signatures, ou à la présence d’un caractère qui résume à lui seul une symbolique infamante (La Lettre écarlate, Victor Sjöström, 1926), ou encore aux tatouages sur la peau (The Pillow Book, Peter Greenaway, 1996).
L’inscription naturelle de la lettre dans l’image-mouvement (et par extension du chiffre et autre signe), déclinée à travers de multiples stratégies figurales, à travers diverses ruses et stratagèmes narratifs qui dépassent la convention des cartons et intertitres, fut une des caractéristiques du cinéma muet, très explorée par les avant-gardes françaises, le mouvement Dada, l’expressionnisme allemand, l’avant-garde russe, etc. : que l’on songe aux disques de Marcel Duchamp lequel, dans son film de 1925 Anémic cinéma, met en rotation diverses propositions dont diverses contrepèteries, inventant de véritables calligrammes mouvementés ; ou encore au film de 1924 Le Ballet mécanique de Fernand Léger et de Dudley Murphy, lors de la séquence d’animation du chiffre 0 préludant au mouvement de la phrase « on a volé un collier de perles de 5 000 000 ! »
Quant aux expérimentations de signes graphiques sur pellicule, avec ou sans caméra, de Len Lye et de McLaren, elles concernent aussi bien la période du muet que celle du parlant. Toutes ces réalisations cinématographiques, toutes ces rencontres plastiques et poétiques, témoignent de cette volonté artistique de diriger notre regard vers l’horizon d’un tout-un où lettre et image puissent – sinon coïncider – en tout cas épaissir la matière figurale dans l’invention de nouvelles formes. Dans son film de 1924 L’Inhumaine, Marcel l’Herbier, reprenant une solution du Caligari de Robert Wiene (1919), incruste dans le décor, au dessus de leurs têtes, les pensées intérieures des personnages ; mais l’agencement le plus fameux se trouve probablement dans L’Aurore (1927) de Murnau lorsque la lettre, disparaissant dans un mouvement de liquéfaction, contribue à l’idée de la noyade criminelle.
On trouvera aussi hommages et filiations classiques du côté des génériques : ainsi les lettres tremblotantes qui s’évanouissent dans le générique de Sleepy Hollow (Tim Burton, 1999) font bien écho à celles qui disparaissent, dans le tout premier carton du générique de Vampyr de Carl T. Dreyer (1932). Certes, le délicat problème des sous-titres (VOST) pourra être évoqué. On achèvera ce préambule incitatif, qui vise à ouvrir quelques pistes de réflexion, par le souvenir du film Casablanca (Michaël Curtiz, 1942), où la pluie détrempe, à peine lus par Rick (Humphrey Bogart), les mots de la bien-aimée. Voici qui nous ramène au début de cette présentation.
Nul doute qu’une fois de plus, les participants au quatrième colloque international de l’Université d’Artois consacré au 7e art analyseront des solutions filmiques empruntées à la modernité de diverses décennies et à des cinématographies issues de tous les continents.

Le comité scientifique : Eléonore Hamaide, Françoise Heitz, Patrick Louguet et Patrick Vienne

Les propositions de communications sont à envoyer à :
jmfheitz@numericable.fr ou viennep@club-internet.fr
pour le 30 août 2009.

lundi 3 août 2009

Colloque : La violence du quotidien dans le théâtre et le cinéma contemporains, 27-28 janvier 2011, Université Paul Valéry - Montpellier III

La violence du quotidien

La violence du quotidien dans le théâtre et le cinéma contemporains
Colloque, 27-28 janvier 2011



Ce colloque, prévu pour janvier 2011 et qui devrait s’étendre sur deux journées, s’inscrira dans la continuité des précédents travaux du champ « Littérature, discours critique, discours social » du RIRRA 21 (Université Paul-Valéry-Montpellier III) portant sur les liens entre littérature et société, littérature et histoire des idées et des mentalités : colloques « L’Empreinte du social dans le roman contemporain » en 2004, « Le théâtre du couple au XXe siècle » en 2006 , « Le Proche », à partir des essais du sociologue Simmel, en 2008. Celui-ci est consacré essentiellement au théâtre (dans une moindre mesure au cinéma) des vingt dernières années et n’exclut aucune aire géographique.

La violence fait partie de l’art, elle traverse la production théâtrale depuis ses origines. Il suffit de relire les tragédies grecques, Shakespeare, pour comprendre que la violence est la question centrale posée par le théâtre. Mais elle est sujette à des mutations thématiques et esthétiques qui font évoluer sa nature d’une époque à une autre.
Aujourd’hui on fait le constat d’une apparition de plus en plus fréquente de la violence sur la scène contemporaine et ce dans toutes les cultures (scatologie, pornographie, cruauté et obscénité langagière). Quelles sont les raisons de cet engouement que certains jugent malsain ? Est-ce tout simplement le produit d’une société elle-même violente contre laquelle les dramaturges et les spectateurs veulent réagir ? Est-ce le signe d’une crise du théâtre, à une époque où il s’interroge sur son devenir, sa nature et ses modalités? S’agit-il d’une volonté de concurrencer le cinéma, dans une société où l’on n’a plus peur des images, où les medias modifient en profondeur notre regard sur le monde ? Par rapport au cinéma, à quelles difficultés particulières se heurte le théâtre lorsqu’il a à montrer des actes violents ? Notre conception de l’homme et de ses rapports avec ses semblables au sein de la société est-elle en train de changer ?

En réaction peut-être avec les journaux télévisés qui, malgré le flot d’images dont ils assaillent le téléspectateur, rendent toujours plus irréels, lointains et abstraits les conflits et problèmes de société dont ils traitent, le théâtre contemporain recherche la proximité : en même temps qu’il prête une attention plus grande à la situation de l’individu inscrit dans le devenir collectif en mettant en écho les névroses individuelles et les névroses collectives, ce théâtre nous fait pénétrer dans l’intime et nous confronte à la violence du proche, du quotidien, à la bestialité des relations privées. Comme l’avait montré les communications présentées au colloque de 2006 sur le théâtre du couple, les relations interpersonnelles sur lesquelles se structure socialement le groupe humain sont, dans ce théâtre, dévalorisées, les relations amoureuses et familiales en particulier, minées par l’egocentrisme et le désir cannibalique de faire disparaître l’Autre. La cellule familiale y est décrite comme un espace structuré en fonction du plus fort et verrouillé par l’ensemble culturel dans lequel il s’inscrit. Nous souhaiterions revenir sur ces conflits soi/couple/société en creusant la question de la violence.

On examinera donc avec un intérêt particulier la tendance du théâtre contemporain à aborder la violence de notre époque par un examen implacable des relations intimes, du désastre de la famille (voir actuellement au Théâtre du Rond-Point la mise en scène de la pièce de Petter S. Rosenlund « Un garçon impossible » par Jean-Michel Ribes, dans laquelle un garçon de huit ans tue au couteau son médecin, sa mère et son grand-père). Les poussées de violence contre des êtres proches, les aveux de haine entre membres d’une même famille sont monnaie courante. La promiscuité creuse des distances infinies. Le familier s’articule au monstrueux et à l’étrange avec une violence jusqu’alors inédite. Dans le même temps il est tentant de relier ce monstrueux huis-clos domestique à la sphère publique. Quels sont, dans ces pièces, les liens entre violence criminelle (notamment envers des proches) et violence sociale. Une lecture politique de celles-ci est-elle encore possible et laquelle ? La distanciation brechtienne intervient-elle encore dans le travail théâtral ? On réfléchira à des filiations possibles : avec le drame moderne du tournant du XXe siècle et en particulier le théâtre de Strindberg qui déjà soulignait « la barbarie de notre vie intime » , ou avec le théâtre du quotidien qui consacra, au milieu des années 70, le retour en force de l’intime et du domestique souvent perçu à travers le prisme du fait divers .

Les communications présentées aborderont donc cette barbarie qui se présente sous les traits de gens ordinaires, dans des œuvres dramatiques ou cinématographiques qui proposent au public une plongée dans un enfer qui lui est étranger, mais proche cependant , aux frontières de l’humain et de l’inhumain.
Si dans un premier temps on pourra se demander comment l’écriture théâtrale contemporaine aborde de façon spécifique la question de la violence (par exemple refus de toute position idéologique, dans la lignée postmoderne.), on verra ensuite que la représentation de la violence au théâtre pose des problèmes d’ordre dramaturgique et scénographique. Comment représenter la barbarie ? Comment montrer des actes obscènes ? (viols, masturbation, meurtres, actes de torture, etc…). Des comédiens auront à les exécuter sur scène devant un public. Si ce n’est pas un problème au cinéma, cela le devient au théâtre : la représentation théâtrale, comme production en temps réel, et en chair et en os, met face à face des acteurs et un groupe de spectateurs institués dès lors en voyeurs.
Donc qu’en est-il du spectateur ? Pour lui, plus de protection, plus de distance : il est directement pris à parti par ce à quoi il assiste, d’autant plus si les situations présentées sur scène évoquent en partie son quotidien. Quels sont les effets de la représentation de la violence ? Qu’acceptons-nous ou pas d’entendre, nous spectateurs ? Sommes-nous voyeurs, passifs ou dans une démarche critique et réflexive ? Dans l’Epreuve du feu de Magnus Dahlström, qui rassemble une série de confessions de meurtriers, l’un d’eux raconte qu’il laisse sa femme enceinte tomber dans l’escalier sans intervenir. Le metteur en scène François Berreur, à propos de cette situation, disait lors d’une table-ronde : « Le monologue le plus violent est celui où le personnage ne fait rien. L’acte le plus violent ramène à notre statut de spectateur. La plus grande violence est l’absence de violence. Le plus violent est la description du monde dont on est spectateur ». Le spectateur peut avoir le sentiment d’être piégé, voire violenté par cette description du monde dont il est spectateur, surtout s’il s’agit de l’exposition d’une parole qui est habituellement de l’ordre d’une expérience intime. C’est cette exposition qui peut sembler malsaine. De façon générale d’ailleurs, le clivage privé/public tend à s’amenuiser dans les arts contemporains, comme dans la société : reality shows à la télévision, body art de Vito Acconci, et Gina Pane, opérations performances d’Orlan…Les notions d’hyperréalisme, de théâtre-réalité peuvent-elles rendre compte de cette tendance majeure du théâtre contemporain à « servir comme sur un plateau l’exposition froide des pulsions des protagonistes » . La catharsis est-elle encore possible et de quelle catharsis s’agit-il ?
Le spectateur qui place le théâtre (ou d’autres formes d’art) en gardien de sa bonne conscience est mis sur la sellette, conduit à l’auto-critique. La séduction perverse de ces objets théâtraux limite reflète souvent une réflexion sur la représentation. Le théâtre en se confrontant aux limites de l’expérience humaine se pose aussi la question des limites de l’art dramatique : c’est une nouvelle approche de la notion de « représentation » (c’est-à-dire la mise en scène de quelque chose qui n’est pas du réel mais se situe sur « une autre scène ») qui se profile. Pourquoi va-t-on au théâtre ? Acteurs ou spectateurs, qu’allons-nous y chercher ? Qu’est-ce qui nous lie les uns aux autres ?

Les propositions de communication comporteront un titre, un résumé de 300 à 500 mots et une brève notice biographique. Elles seront envoyées avant le 30 avril 2010 par courriel à Florence Thérond, Maître de conférences de littérature générale et comparée à l’Université Montpellier III et organisatrice du colloque (therond.florence@wanadoo.fr )

mardi 30 juin 2009

"Détour mortel : sur le motif de la déviation dans le film d’horreur américain moderne" par Florent Christol

"Détour mortel : sur le motif de la déviation
dans le film d’horreur américain moderne"


par Florent Christol



Les premiers plans de A Nightmare on Elm Street 2 : Freddy’s Revenge (Sholder, 1985) brossent le tableau idyllique d’une petite ville américaine qu’on croirait tout droit sortie de l’œuvre de Norman Rockwell. Des rangées d’arbres symétriques bordent des routes rectilignes, la conformité domine, l’ordre règne. Jessie (Mark Patton) monte dans un bus qui doit le mener au lycée et rien, sinon l’appartenance du film au registre du cinéma d’horreur, ne laisse présager que cette mécanique bien huilée va bientôt s’enrayer. Pourtant, rapidement, des signes viennent perturber le quotidien : la vitesse du bus augmente sans raison, la chaleur monte, et le chauffeur revêt progressivement les traits bien connus du croquemitaine d’Elm Street. Arrivé au bout de l’avenue, Freddy précipite le bus en dehors de sa route habituelle, vers un paysage désertique qui convoque l’imaginaire cinéphilique du spectateur en renvoyant à l’aride wilderness des westerns. Le véhicule poursuit un moment la traversée du désert, puis s’engouffre dans une faille gigantesque pour venir chuter sur un rocher surmontant un lac en fusion. Jessie hurle. Cut. Il se réveille enfin, en sueur, dans sa chambre. Tout cela n’était au fond qu’un vilain cauchemar. Or was it ?

Privée de son contexte horrifique, cette scène pourrait constituer une illustration limpide des thèses socio-économiques de Frederick Jackson Turner sur la Frontière américaine. Turner envisage l’espace vierge de la wilderness comme une soupape de sûreté où les forces capitalistes de la métropole viennent se dépenser et régénérer l’économie américaine. La métaphore de la soupape de sûreté (safety valve) rappelle, dans un tout autre contexte, la théorie carnavalesque élaborée par Mikhaïl Bakhtine dans son ouvrage sur Rabelais. Selon Bakhtine, les moments de carnaval au Moyen-Age et pendant la Renaissance permettaient de libérer la pression sociale en fournissant un espace-temps propice à la dépense (sexuelle, corporelle) et aux excès en tous genres. Chacun à leur manière, les deux auteurs insistent sur l’absolue nécessité sociale d’un espace de dépense et de régénérescence. Mais à la différence de la wilderness américaine, soupape de sûreté limitée dans l’espace, le carnaval prôné par Bakhtine n’était limité que dans le temps[1]. Dès lors, une ombre plane sur le texte de Turner : que se passera-t-il quand, une fois les dernières terres vierges exploitées, la wilderness disparaîtra ? A cette question, l’auteur ne répond pas, si ce n’est en lançant dans un style prophétique des mots qui viennent éclairer significativement la scène du film en question : “He would be a rash prophet who would assert that the expansive character of American life has now entirely ceased. Movement has always been its dominant fact, and, unless this training has no effect upon a people, the American energy will continually demand a wider field for its exercise”[2]. Le bus de Freddy’s Revenge quittant la métropole pour dépenser dans la wilderness une énergie soudain excessive accomplirait alors, un siècle après son écriture, la prophétie de Turner. Mais cet accomplissement prend un tour catastrophique : loin d’être un espace de régénérescence, la wilderness de ce film d’horreur est un espace-tombeau. En outre, le basculement apocalyptique de la civilisation dans la barbarie, loin d’être une pathologie insignifiante, fait corps avec une certaine tradition eschatologique inscrite dans la mythologie étasunienne. Bien au chaud dans son lit, Jessie fantasme le cauchemar de l’Amérique, le retour à la wilderness qui, loin d’avoir été liquidée par l’implantation de la civilisation, résiderait encore aux marges des espaces dits « civilisés ».


Le wrong turn movie


Cette scène nous intéresse car elle réactive au milieu des années 1980 un des motifs clés du film d’horreur américain des années 1960-70, celui du détour, de la déviation, ou de la bifurcation, inauguré dans Psycho (1960). Le trajet mortifère de Janet Leigh, qui la mène au Motel Bates via une autoroute qui bifurque, constitue en effet la fiction programmatique de nombre de films d’horreur à venir (voir corpus[3]). De Psycho à Tourist Trap, en passant par The Texas Chainsaw Massacre et The Hills Have Eyes, on ne compte plus les fictions mettant en scène des personnages déviant de leur route pour s’embarquer sur un mauvais chemin qui les mène directement au cœur de l’Amérique profonde (l’état du Texas ou les plaines désertiques sorties de la mythologie de l’Ouest). Version catastrophique du road-movie, ce sous-genre substitue au “Keep watching the skies !” de la science-fiction paranoïaque des années cinquante, un “Don’t leave the road !” (The Hills Have Eyes) autrement plus angoissant car plus banal (aux USA, tout le monde prend la route). Au bout du trajet, la même destination : un espace abject, grotesque, « monstrueux », apocalyptique, où trônent la mort et la folie (à la fin de Texas Chainsaw Massacre, Marilyn Burns parvient à reprendre la route, mais sous le signe du délabrement physique et mental). C’est le motel Bates avec ses animaux empaillés et sa douche sacrificielle, et c’est son épigone néo-gothique, la bâtisse puritaine de The Haunting, topos de la déviance par excellence (un personnage y fait remarquer qu’aucun angle n’y est droit). C’est la ville-fantôme de 2000 Maniacs qui surgit comme dans Brigadoon pour accueillir les touristes ayant dévié de leur chemin, et ce sont les collines désertiques dans lesquelles se terre la tribu cannibale de The Hills Have Eyes. C’est la colonie de vacances maudite sur laquelle reviennent les moniteurs de Friday the 13th des années après qu’un drame horrible ait eu lieu. C’est, enfin, le marais dans lequel attend le Crocodile de la mort (titre français de Death Trap), le musée d’automates de Tourist Trap, et le parc d’attraction mortifère de The Funhouse, espaces insulaires catastrophiques se situant à la périphérie des villes.

Le motif du détour et le recours à une topographie dysphorique n’est pourtant pas l’apanage du film d’horreur moderne[4]. En 1932, Ernest B. Schoedsack réalise The Most Dangerous Game, qui dépeint un espace insulaire comme un gigantesque terrain de chasse où le gibier est humain. Dans une veine parodique, The Old Dark House de James Whale, avec sa maison gothique et sa famille d’excentriques, s’inscrit la même année comme le modèle générique d’un sous-genre qui ne se développera que trente ans plus tard. Tous les ingrédients de ce que nous avons convenu d’appeler le wrong turn movie [5] sont déjà présents (détour forcé des protagonistes, arrivée dans un lieu ex-centré, etc.), à une différence près : la frontière entre la marge (antre du monstre) et la norme (espace du protagoniste) -qui sera brouillée dans les années soixante- est ici maintenue, la famille « normale » parvenant à quitter les lieux sans avoir été contaminée par la folie ambiante, ce qui installe le film dans une mouvance générique résolument classique. Mais The Old Dark House est l’exception qui confirme la règle : dans le film d’horreur classique, c’est le monstre qui fait détour. Figure déviante par excellence[6], le monstre vient du hors-champ pour repartir en fin de parcours dans le hors-champ. C’est, paradigmatique, le trajet qui mène le Dracula de Tod Browning (1931) de Transylvanie à Londres pour, au final, retourner en Transylvanie et y être détruit. Le champ dans le film d’horreur classique est centrifuge au regard des figures déviantes : il ne les tolère que pour mieux les rejeter dans la périphérie.

En 1960, cette mécanique d’expulsion s’est résolument encrassée : le monstre, qui a quitté son château gothique, a adopté des traits humains et s’est terré au cœur de l’Amérique, dans un espace monstrueux centripète, tel Norman Bates, monstrueuse araignée humaine tissant une toile dans laquelle les touristes égarés tombent comme des mouches. Cette répartition géographique binaire (une route sur laquelle sont engagés les protagonistes, et le territoire du monstre dans la marge), ordonne une diégèse clivée, racontant toujours le basculement d’un film (le road movie et son espace horizontal) dans un autre (le film d’horreur, espace de la verticalité et de la profondeur, topos exemplifié par les montagne de Hills Have Eyes et la cave de Psycho). La frontière entre les deux espaces, étanche dans The Old Dark House, est devenue poreuse, les puissances grotesques risquant à chaque instant de déborder leur cadre pour contaminer l’espace diégétique dans son intégralité. On retrouve ce schème de la contagion dans la dernière séquence de Friday the 13th où Alice (Adrienne King) dérive dans une barque, sur un lac entouré par une immense forêt. Ce paysage idyllique rappelant l’un des pôles mythiques de l’Amérique (la pastorale) se trouve parfaitement réfléchi dans l’eau du lac symboliquement nommé Crystal Lake. Pourtant le rêve cède rapidement la place au cauchemar lorsque Jason Voorhees, envers difforme et pourri de l’Amérique WASP, surgit des profondeurs aquatiques pour entraîner Alice de l’autre côté du miroir/cristal, au fond du lac, irruption programmée à la fin de Deliverance[7]. La traversée du miroir ne mène pas Alice au « pays des merveilles » mais au cœur d’un réel monstrueux, dans le cauchemar de l’Amérique, celui-là même que fantasmera Jessie quelques années plus tard dans Freddy’s Revenge.

Comment rendre compte de la cristallisation de ce motif du détour dans le film d’horreur américain des années soixante ? Le wrong turn movie semble surgir, monstrueux, tel un accident dans l’horizon d’un cinéma encore largement voué à la perpétuation de motifs gothiques (Roger Corman débute son cycle d’adaptations de Poe en 1960). Si cette résurgence semble difficile à décrypter, c’est peut-être parce que les personnages des films eux-mêmes insistent sur la difficulté à donner un sens aux événements « monstrueux » qui s’y déroulent. « Il y a des fois où vous n’arriverez pas à croire que tout ceci est vrai », dit Pam dans The Texas Chainsaw Massacre. Cela est monstrueux car cela n’aurait pas dû arriver. Après tout, l’histoire ne dit pas ce qui se serait passé si les personnages n’avaient pas dévié de leur chemin… Clément Rosset a mis le doigt sur ce type d’aveuglement :

L’erreur humaine est de vouloir toujours s’amenuiser la tragédie du réel […] en reléguant dans un insupportable accidentel les plus cruels de ses déboires, au lieu de les ramener à la tragédie immanente de la réalité […] le secret de ce refus de la tragédie réside dans l’espoir inconscient de nier le fondement tragique de toute chose en s’exagérant sa propre tragédie, c’est-à-dire en s’obstinant à la considérer comme accidentelle et absurde sur un fond d’ordre et de raison.[8]

En se rappelant ces mots, nous aimerions dans cet essai montrer que les modalités explicitement catastrophiques du « film d’horreur du détour » ont pour conséquence de masquer son inévitabilité, c’est-à-dire ses modalités tragiques. En effet, le mauvais chemin du wrong turn movie, s’il prend pour les malheureux voyageurs qui s’y trouvent embarqués une allure accidentelle, revêt pour ceux qui l’observent de loin l’allure d’une destination fatale et programmée. Un chemin tracé dans le sillon du puritanisme qui, en envahissant l’imaginaire américain, va semer les germes du cinéma d’horreur en général et du wrong turn movie en particulier.


Du Wild West Show au Freak Show: spectacles forains et marginalité


En partant pour l’Amérique, les Puritains ont à cœur de rompre avec l’Europe et une culture religieuse jugée décadente, contaminée par des résidus de rituels païens grossièrement incorporés aux fêtes catholiques puis anglicanes[9]. Entre autres choses, ils récusent le carnaval, son esthétique excessive (le « réalisme grotesque » qui célèbre la marginalité, d’où l’importance de la figure du monstre[10]) et ses débordements anarchiques[11]. Mais cette rupture théorique vient butter sur une réalité irréductible : une fois arrivés sur le sol américain, les Puritains sont confrontés à un territoire aux proportions monstrueuses et à l’aspect grotesque (la wilderness), habité par des êtres aux pratiques excessives et aux rituels païens (les Indiens, s’il est possible de rendre compte par ce terme de réalités complexes et disparates). D’emblée, l’Amérique est à leurs yeux un territoire absolument carnavalesque, comme contaminé par la fête européenne dégénérescente.

Parce qu’on ne se définit jamais mieux que dans le rapport à l’Autre, l’Indien devient rapidement dans l’imaginaire puritain une figure monstrueuse se détachant sur fond de cannibalisme et de sacrifices barbares.[12] Sur un plan symbolique vont alors s’opposer deux forces antithétiques : d’une part une énergie hyperbolique et excessive (l’Amérique archaïque et « sacrée » des Indiens), d’autre part une énergie « profane » visant à tempérer et à éradiquer cette première force (le puritanisme et, de manière plus générale, le colonialisme)[13]. C’est le début d’une longue dynamique d’épuration, auto-justifiée par la notion de « destinée manifeste », les Puritains refoulant dans la marge (la mort) tout ce qui sort de la norme. Mais les Indiens, figures ex-centriques qu’il fallait expurger du champ historique, ne disparaissent pas totalement du paysage américain car leur image est aussitôt ressuscitée dans le Wild West Show de Buffalo Bill, spectacle forain récupérant la mythologie du Far West au moment où celui-ci disparaît. Traditionnellement, un spectacle de Wild West Show gravitait autour d’une reconstitution d’une célèbre bataille de l’Histoire américaine. Fait notable, le Wild West Show fait appel à de véritables Indiens, comme pour mieux leur faire rejouer leur défaite, transformant une énergie potentiellement dangereuse et transgressive en spectacle inoffensif. Car dans le Wild West Show, l’Histoire fait perpétuellement retour, et l’énergie jadis dépensée dans la wilderness tourne à vide. En d’autres termes, le temps bégaie, pris dans une dynamique de répétition à la logique éminemment conservatrice (en faisant de l’Histoire une foire, on la met définitivement hors d’état de nuire).

Un autre spectacle célébrant la marginalité devait croiser le chemin du Wild West Show à de nombreuses reprises, le freak show, spectacle d’exhibition de « difformités de la nature » qui inspira le fameux Freaks (1932) de Tod Browning. Les deux spectacles attiraient le même type de public et il n’était pas rare que des freaks soient exhibés dans le Wild West Show[14] et que, à l’inverse, des Indiens soient exhibés dans les freak shows, amalgame des plus significatifs qui institue la foire comme lieu d’altérité et de marginalité (la foire elle-même, à l’opposé du carnaval européen qui survenait de manière temporelle pour régénérer la société, est un phénomène marginal, une survivance archaïque du carnaval qui prolifère dans l’ombre, à la périphérie des villes). Dans son étude sur la Frontière américaine, Richard Slotkin signale que le 4 Juillet 1876, lors de l’exposition du centenaire à Philadelphie, les spectateurs pouvaient se rendre à une foire exposant « des enfants sauvages de Bornéo, un cheval à cinq jambes, et des figures de cire représentant de célèbres chefs indiens » [15] .

Le lien analogique et historique entre le Wild West Show et le freak show est illustré par Murders in the Rue Morgue de Robert Florey (1932). Au début du film, les protagonistes se rendent à une fête foraine où ils assistent à un spectacle de Wild West Show (des Indiens dansent et chantent autour d’une victime attachée à un poteau, sur le point d’être sacrifiée) puis se rendent à un freak show tenu par Bela Lugosi. La passerelle entre les deux spectacles révèle le projet idéologique liant le western au film d’horreur, deux genres offrant un espace narratif où s’effectue le sacrifice rituel du bouc émissaire (l’Indien dans le western, le monstre dans le film d’horreur), c’est-à-dire, symboliquement, la dépense de cette énergie foraine rejetée dans la marge et qu’il faut bien brûler, comme le pantin à la fin du carnaval, pour ne pas laisser de trace (le monstre de Frankenstein meurt ainsi comme sur un bûcher à la fin du film de 1931). Car, on le sait depuis Freud, tout ce qui est refoulé fait inévitablement retour[16]. « Le monstre, comme tout ce dont je me débarasse par précaution d’identité, me revient, écrit Charles Grivel : mes déchets me dénoncent […]. Je recommence sans fin la fiction de mon épuration ».[17]


Le film d’horreur hollywoodien comme soupape de sûreté


Après avoir donné la parole aux monstres et aux marginaux (voir les films de Tod Browning qui se déroulent souvent dans une foire), le film d’horreur va progressivement s’affranchir de ses origines foraines pour s’ouvrir aux propensions normalisantes du classicisme hollywoodien. C’est le début, dès 1931, des films fantastiques produits par la Universal, qui sont souvent des adaptations de classiques de la littérature fantastico-gothique. Mais en s’extrayant de son milieu carnavalesque pour rejoindre le monde temporellement et spatialement lointain des contrées gothiques, le monstre intègre les pouvoirs subversifs du carnaval. Le monstre fantastique du cinéma d’horreur classique est une figure transgressive (il brouille les catégories) et grotesque venant du hors-champ ruiner le monde (le champ) pour, finalement, retourner dans le hors-champ à la fin du récit, réaffirmant ainsi l’étanchéité de la frontière entre marge et norme, ainsi que l’appartenance des protagonistes et des spectateurs à la norme[18].

Dans cette perspective, la fonction sociale du film d’horreur serait de canaliser une énergie refoulée (celle –historique- de l’Indien, et plus généralement de l’Autre), symbolisée/métaphorisée par la figure du monstre, et de faire dévier cette énergie vers la marge, dynamique spatiale renvoyant à la dialectique du pur et de l’impur observée par Roger Caillois. « Une séparation vigilante des principes du pur et de l’impur, écrit Caillois, implique pour eux une localisation distincte au sein de la société. De fait, le centre paraît la résidence claire et réconfortante du premier, la périphérie l’empire obscur et inquiétant de l’autre »[19]. C’est dans ce projet que se précise la complémentarité que nous percevons entre le western et le cinéma d’horreur dans le système hollywoodien. Le western, de par son ancrage historique, reflète inévitablement l’évolution des mentalités américaines quant à la question du génocide indien et entame, lentement mais sûrement, une réparation des erreurs de l’Histoire (les premiers westerns pro-indiens apparaissent dès les années 1910). En revanche, le film d’horreur n’a aucun engagement vis à vis de l’Histoire (les monstres tels que la momie ou le vampire sont a-temporels) et, plus généralement, vis-à-vis du réel (le loup-garou, la créature du lagon noir, Dracula, et ce jusqu’à preuve du contraire, n’ont jamais existé). Dès lors il peut se permettre d’ignorer plus longtemps que le western les métamorphoses de l’Histoire. En adaptant des classiques de la littérature fantastique, le cinéma d’horreur hollywoodien en profite pour rejouer la fiction d’épuration des origines, le rejet du phénomène excentrique étant alors pris en charge et cautionné par la fiction littéraire (le trajet marginal de monstre est inscrit dans le texte de départ). Si l’Amérique, en liquidant la wilderness, s’est privée d’un exutoire, elle a reconstitué un hors-champ de substitution, celui du cinéma d’horreur, véritable soupape de sûreté et espace de liquidation de l’abject. Mais le hors-champ pouvait-il indéfiniment accueillir les figures marginales rejetées par le champ ? L’Histoire allait se charger d’apporter une réponse –catastrophique- à cette question.


Apocalypse Now : le retour de la wilderness



La logique dialectique (absorption du monstre dans le champ/abjection dans le hors champ) qui prévaut dans le classicisme du film d’horreur, si on lui connaît de nombreuses exceptions (qui confirment la règle) et subversions internes depuis ses origines, se trouve profondément ébranlée dans les années soixante. A l’évidence, le hors-champ qui permettait jusque là de se débarrasser de la figure abjecte ne fonctionne plus. C’est d’ailleurs bien cette difficulté à éliminer le monstre, ce dysfonctionnement du système d’assainissement interne à la dynamique du genre, qui va constituer l’une des principales caractéristiques du film d’horreur moderne, qualifié par Jean-Baptiste Thoret de « cinéma de l’asphyxie » :


A compter de 1968, le hors-champ ne sera plus ce lieu invisible où le champ réglait ses problèmes de digestion (d’une façon ou d’une autre, ce dernier parvenait toujours à expurger sa part maudite : le loup-garou, la créature du lac noir, le mutant ou le zombie quittaient in fine le cadre), mais un espace poubelle, dépotoir saturé de déchets toxiques impossibles à contenir […] Le refoulé ne se contenta plus de faire un petit retour et de s’en aller […] mais choisit de rester dans le cadre. Logique de raréfaction contre logique de l’accumulation, logique d’échange contre logique de pourrissement, le hors-champ exigea un droit de visite[20].


Bien qu’il soit toujours délicat de postuler une relation de cause à effet directe entre la réalité et ses représentations (l’art, pour faire court), un événement a eu de toute évidence une influence indéniable sur le fonctionnement du hors-champ dans le film d’horreur moderne : l’affaire Ed Gein, survenue au milieu des années cinquante. Fermier du Wisconsin, Ed Gein avait déterré plusieurs cadavres (dont celui de sa mère) du cimetière local et les avait ramenés chez lui, prélevant certains organes pour en faire des objets (meubles, ustensiles de cuisine, tablier, masque), et en dévorant d’autres. Cette histoire a inspiré à Robert Bloch son roman Psycho, adapté par Hitchcock en 1960 (et qui, on l’a vu, constitue le premier d’une lignée de wrong turn movies). Si cette affaire dérange profondément, ce n’est pas, comme on a pu souvent l’entendre, parce qu’elle cristallise une fascination morbide pour la mort mais, bien au contraire, parce qu’elle illustre un refus affirmé de la mort et de la pourriture. En faisant sortir le cadavre de sa tombe, en le réinstallant dans l’espace qu’il occupait vivant, Gein empêche le corps de pourrir, de disparaître. La maison Gein est un charnier encombré de déchets qu’on se refuse à évacuer. Chez lui, l’abject n’est pas rejeté, niant de ce fait le principe d’intégrité qu’est censé cautionner son expulsion : « …le déchet comme le cadavre, écrit Julia Kristeva, m’indiquent ce que j’écarte en permanence pour vivre. Ces humeurs, cette souillure, cette merde sont ce que la vie supporte à peine et avec peine de la mort. J’y suis aux limites de ma condition de vivant. De ces limites se dégagent mon corps comme vivant. Ces déchets chutent pour que je vive »[21]. En ne ménageant pas d’espace pour l’évacuation du cadavre, en se privant de hors-champ dans lequel expulser le déchet, la maison Gein finit par crouler et pourrir sous le poids de la mort qui y a élu domicile.

Sur un plan social, ce fait divers vient rappeler l’absolue nécessité du carnaval qui permet de faire l’expérience de l’abject (de la mort, de la pourriture, et de façon générale, du schème excrémentiel) et de l’éliminer.[22] Symptomatiquement, pour Bakhtine, la dégénérescence de la fête et de son système esthétique (le réalisme grotesque) entraîne nécessairement un surplus qu’on ne peut éliminer :


Dans les hauteurs du réalisme grotesque et folklorique comme dans la mort des organismes unicellulaires, il ne reste jamais de cadavre (la mort de l’organisme unicellulaire coïncide avec sa multiplication, c’est-à-dire la division en deux cellules, deux organismes, sans nul « déchet »), la vieillesse est enceinte, la mort est grosse, tout ce qui est limité, caractéristique, figé, prêt, est précipité dans le « bas » corporel pour y être refondu et subir une nouvelle naissance. Mais, pendant la dégénérescence et la désagrégation du réalisme grotesque, son pôle positif disparaît, c’est-à-dire le jeune maillon du devenir […] il ne reste qu’un cadavre pur[23]



Ce « cadavre pur » qui vient saturer l’espace de la maison Gein est le modèle réel de celui, fictionnel, qui refuse de quitter le champ du film d’horreur post-Psycho. La ferme d’Ed Gein est quant à elle le modèle matriciel des topoï cannibales qui engloutissent les protagonistes du wrong turn movie. Mais l’affaire Gein n’est que la première d’une longue série de crises sociales qui viennent ébranler les fondations de l’Amérique dans les années 1960-70. Les assassinats politiques, la guerre du Vietnam et les crises pétrolières viennent brouiller la frontière entre barbarie et civilisation. Ainsi, les soldats envoyés sur le front vietnamien effectuent dans le même temps comme une régression temporelle les ramenant dans un espace archaïque et barbare où la limite entre le bien et le mal vacille (c’est le moment où l’Amérique perd son innocence et entre dans l’ère de la culpabilité). Ces événements ouvrent une brèche dans laquelle va s’engouffrer le souvenir, jamais oublié, de la wilderness sauvage hantée par le spectre des Indiens[24]. Cette contamination du réel par le mythe provoque la perte des repères : que l’on se trouve à la lisière du Vietnam ou chez soi, au cœur de l’Amérique (Gein habitait une petite ville sans histoire…), le paganisme barbare et son lot d’images archaïques (sacrifice, cannibalisme), semble alors à quelques encablures et menace de renverser la mythologie conquérante sur laquelle s’est érigée l’Amérique puritaine.


Le film d’horreur du détour est peut-être, de toutes les formes cinématographiques de la modernité, l’expression la plus forte de cette angoisse topologique : dans le wrong turn movie, s’éloigner un tant soi peu de la métropole, c’est prendre le risque d’arriver, non dans la ferme d’Ed Gein le cannibale ou dans les fondrières du Vietnam, mais bien dans leurs corollaires fictionnels, au sein de cette wilderness où le temps fait retour comme dans la Foire des ténèbres de Ray Bradbury. Sortir des sentiers battus, quitter l’horizon fuyant du road movie, c’est plonger dans un espace vertical mortifère. Saturne est « en rétrograde » nous apprend l’horoscope de Pam dans Texas Chainsaw Massacre. Aux marges de la civilisation réside le chaos : « Ce monde de lumière, de joie paisible, de vie facile et heureuse est en même temps un monde de ténèbres et d’horreur. Le temps de Saturne est celui des sacrifices humains et Cronos dévorait ses enfants »[25]. Comment tenir face à une énergie titanesque ? Dans le wrong turn movie, l’apocalypse est en marche, et l’Amérique en perte de vitesse.


Saturne en rétrograde


L’épuisement énergétique motive la première moitié du wrong turn movie, qu’il s’agisse de l’épuisement de carburant (les protagonistes de Texas Chainsaw Massacre, Tourist Trap, et The Hills Have Eyes s’arrêtent tous dans une station service pour faire le plein d’essence), ou encore de l’épuisement corporel de Janet Leigh dans Psycho qui s’arrête au motel pour manger et dormir, en un mot, pour « recharger ses batteries ».

Si l’énergie fait défaut aux protagonistes, elle est en excès chez leurs antagonistes et pour cause, c’est souvent eux qui vident l’énergie des premiers, comme dans The Hills Have Eyes où Michael Berryman aspire l’essence de la voiture conduisant la caravane de la famille Carter afin d’éviter que cette dernière ne reprenne la route. Ces monstres sont d’ailleurs souvent les propriétaires des stations d’essence chez qui viennent se ressourcer les protagonistes. The Texas Chainsaw Massacre est sans doute le film qui illustre le mieux ce conflit, comme l’a montré Jean-Baptiste Thoret pour qui, « …l’énergie est la question centrale du film, c’est elle qu’il faut brûler, consumer, convertir, au risque que le monde implose »[26]. Le film de Hooper multiplie les plans suggérant un surplus d’énergie :

Juste après le meurtre de l’une des jeunes filles, que Leatherface a suspendue à un crochet de boucher, un plan nous montre une éolienne en train de tourner. […] Lorsque Franklin, le frère paralytique de l’héroïne, est agressé par Leatherface, il tient une lampe torche à la main. […] A sa mort, succède un plan de la lampe encore allumée, signe d’un trop-plein d’énergie à brûler. Enfin, dans la dernière partie du film, la plupart des plans détaillant les tortures de Sally incorporent dans le cadre des lampes, des bougies, des ampoules ou des lampadaires constitués de débris humains.[27]

La tronçonneuse éponyme est le symbole limpide d’une énergie inépuisable, arme quasi fantastique (elle fonctionne sans arrêt, pourtant on ne voit jamais Leatherface remettre de l’essence), redoutable lorsqu’elle surgit en face d’une énergie humaine périssable. Où la tronçonneuse puise-t-elle ses ressources ? Et, de façon plus générale, comment rendre compte de l’énergie en surplus saturant les topoï excentriques du wrong turn movie ? A cette question il semble possible d’apporter deux types de réponses. A la réflexion, nous verrons qu’elles forment les deux facettes d’une même réalité. La première réponse est d’ordre pragmatique, et correspond grosso modo à l’analyse de type freudo-marxiste proposée par Robin Wood. Si les motels de Psycho et de Death Trap se retrouvent dans la marge et si plus personne ne s’y arrête, c’est parce qu’une nouvelle autoroute a été construite, qui lie directement les grandes métropoles entre elles. Pour cette raison, l’accès au motel Bates n’est presque plus signalé. Dans Texas Chainsaw Massacre, les bouchers se retrouvent au chômage parce que les abattoirs ont été automatisés. Norman Bates, Leatherface, et Judd (l’hôtelier de Death Trap, lui aussi marginalisé par l’installation d’une nouvelle route), victimes du capitalisme « sauvage », auraient alors un surplus d’énergie à dépenser dû au chômage et à l’inactivité. Mais il semble également possible de fournir une réponse « mythologique » ou « mytho-poétique » à la question posée plus haut. Pour cela, il faut se pencher sur le générique de Texas Chainsaw Massacre, qui enregistre en plans macroscopiques des éruptions solaires. « Le soleil donne sans jamais recevoir, écrit Jean Piel ; alors il y a nécessairement accumulation d’une énergie qui ne peut qu’être gaspillée dans l’exubérance et l’ébullition »[28]. Nouvelle hypothèse : la tronçonneuse de Texas Chainsaw Massacre dépenserait une énergie d’origine cosmique instaurant, par la biais d’un massacre soudain investi de vertus rituelles, un rapport au mythe et au sacré.

La mythologie solaire qui inonde le film de Tobe Hooper vient rappeler que les espaces « monstrueux » du wrong turn movie sont, sur un plan anthropologique, loin d’être anodins. Ainsi le motel, qui figure si explicitement dans Psycho, Death Trap et Motel Hell, est le lieu du sommeil par excellence. « Point énergétique zéro, espace de neutralisation rêvé des capacités physiques, le sommeil constitue le lieu où l’homme fatigué prend congé de l’énergie qui le ronge. Zone frontière où certains refont le plein d’énergie là où d’autres s’en délestent à jamais » [29]. Le motel est donc, en dehors de son aspect profondément utilitaire (il faut payer pour dormir) un lieu festif si la fête est bien l’espace de la régénérescence[30]. Les abattoirs de Texas Chainsaw Massacre entretiennent, de la même façon, un rapport très fort avec le carnavalesque. Bakhtine rappelle en effet la pratique festive de l’abattage du bétail[31]. La foire de The Funhouse est enfin, pour prendre un dernier exemple, un espace carnavalesque par définition.

On comprend alors qu’il est illusoire de vouloir isoler les deux types de lecture notées plus haut. En effet, si les topoï abjects du wrong turn movie sont si exemplairement catastrophiques, c’est parce qu’ils résultent de la rencontre sacrilège entre capitalisme et « sacré ». Rejetés dans la marge comme les Indiens du Wild West Show et les monstres du freak show, coincés dans une bulle hors du temps, ces espaces grotesques ont gardé tous les attributs de leur fonction « sacrée », mais en lieu et place d’une expérience régénératrice on y trouve la mort, l’énergie rituelle qui s’y dépense se dépensant dans le vide. Dans ces espaces chaotiques, le sacré et le profane se confondent absolument, et se court-circuitent mutuellement. Judd, l’hôtelier fou de Death Trap brandit la faux non pour moissonner (acte à la symbolique régénératrice quand il intervient dans le contexte du carnaval), mais pour assassiner. L’abattage des bêtes et l’esthétique du démembrement, motifs régénérateur chez Bakthine et dans la logique du carnaval, sont délétères chez Hooper[32]. Les diverses tortures que subissent Sally et ses compagnons dans Texas Chainsaw Massacre (dépeçage, installation sur des crochets de boucher, cannibalisme) évoquent précisément les sacrifices aztèques décrits par Bataille : « On écorchait le mort : un prêtre aussitôt s’habillait de cette peau sanglante. On jetait des hommes dans une fournaise ; on les tirait de là avec un crochet pour les placer sur le billot encore vivants. On mangeait le plus souvent les chairs que l’immolation consacrait »[33]. La douche, espace de la purification, revêt également dans Psycho une allure sacrificielle.[34]

Il existe pourtant une différence profonde entre les sacrifices archaïques et les meurtres abominables commis dans le wrong turn movie. « Un sacrifice, écrit Eliade, non seulement reproduit exactement le sacrifice initial révélé par un dieu ab origine, au commencement des temps, mais encore il a lieu en ce même moment mythique primordial ; en d’autres termes, tout sacrifice répète le sacrifice initial et coïncide avec lui ».[35] Parce que le capitalisme a fait dévier la route qui menait au Motel Bates et à la ferme de Leatherface, parce que ce qui était au centre se retrouve dans la marge, le patron mythique qui doit venir justifier ces actes « monstrueux » en les replaçant dans un contexte mythique, vient à manquer. Cette non-coïncidence du rite avec son mythe d’origine est illustrée par le masque de Leatherface qu’il porte hors de tout contexte festif. Or, comme l’écrit Jacques Bril,

Le masque ne se conçoit pas sans la fête qu’il contribue d’ailleurs à établir comme tel. Masque et Fête ont partie liée. Il est même fréquent que le faux visage, après la célébration, soit détruit ou brûlé ; en tout cas remisé et soustrait aux regards habituels, communs, vulgaires ; profanes. Porter le masque en dehors d’un temps spécifié serait non seulement incongru, mais encore inconvenant, voire sacrilège[36].

Le problème mytho-poétique posé par le wrong turn movie est, clairement, celui d’un pays dont les mythes sont pris dans la logique rituelle d’un temps cyclique, et qui circulent dès lors en toute autonomie (en toute impunité pourrait-on dire), en marge de la société qui les a cauchemardés. Les espaces abjects dans lesquels pénètrent les protagonistes de ces films sont des lieus hantés par les spectres d’un héritage historique violent (c’est tout le sujet de The Haunting de Robert Wise). « Il arrive, écrit Ernst Bloch, que des images foraines ensanglantées, de vieilles images de fantômes, indignes, et en quelque sorte follement terrifiantes, sachent nous chanter une berceuse de l’au-delà. Pas de motif connu, immanent, suffisant de ces images : elles sont plutôt des souvenirs mythiques, et pourtant trop puissantes pour cela, trop étrangères et surtout trop présentes[37]». Ce qui fait éternellement retour dans les marges déliquescentes du wrong turn movie n’est pas un mythe qui viendrait régénérer la société, mais les images désincarnées de l’Histoire américaine, images terrifiantes qui tournent sur elles-mêmes comme les Indiens-automates dans le musée forain de Tourist Trap.

Dans le film de David Schmoeller, Chuck Connors, surtout connu pour son interprétation du chef indien dans Geronimo (Laven, 1962), est propriétaire d’un musée d’automates au cœur du désert. L’une de ces figures mécanisées représente le Général Custer, dont l’ultime lutte contre les factions indiennes de Sitting Bull lors de la bataille de Little Big Horn (1876) a acquis un statut mythique dans l’Histoire américaine. Cette mythologie semble ici à l’abandon, et ne survit que sur le mode ludique de l’attraction foraine. Mais l’électricité qui redonne vie aux automates est une énergie mortifère qui alimente la mémoire des massacres de l’Histoire. Le film répète en effet, en miniature, la défaite des troupes américaines à Little Big Horn lorsqu’ une adolescentes égarée dans le musée se retrouve coincée entre le feu nourri de Custer et les coups de poignard de Sitting Bull. « Les mythes surgissent du passé pour mutiler, estropier, ou tuer les vivants[38] », écrit Richard Slotkin. C’est vrai dans le Wild West Show dysfonctionnel de Tourist Trap, ça l’est aussi dans 2000 Maniacs, avec sa ville fantôme où se rejoue ad infinitam le souvenir de la guerre de sécession. Les touristes égarés qui y trouvent refuges sont torturés, non par des fous sanguinaires, mais par la répétition insensée de l’Histoire qui tourne à vide. « La répétition vidée de son contenu religieux, écrit Eliade, conduit nécessairement à une vision pessimiste de l’existence. Lorsqu’il n’est plus un véhicule pour réintégrer une situation primordiale et pour retrouver la présence mystérieuse des dieux, lorsqu’il est désacralisé, le Temps cyclique devient terrifiant : il se révèle comme un cercle tournant indéfiniment sur lui-même, se répétant à l’infini [39]. » Dans le wrong turn movie, l’Histoire bégaie, immobilisée dans la perpétuation barbare de massacres insensés. Ce travail sur la circularité et l’aporie est au cœur de The Funhouse (en français, Massacres dans le train-fantôme), passionnante réflexion sur le cinéma d’horreur qui, en s’éloignant à priori du canevas du wrong turn movie, finit malgré tout par y revenir. Fatalement.


La nuit des forains


The Funhouse raconte la tragédie d’Amy (Elizabeth Berridge), une adolescente sans histoire qui se rend à une fête foraine malgré l’interdiction de ses parents. Ces derniers lui suggèrent plutôt d’aller voir un film -eux-mêmes regardent The Bride of Frankenstein (Whale, 1935) à la télévision. Cette référence est proléptique : au sein de la foire, Amy va tomber nez à nez avec un monstre revêtu d’un masque reproduisant le visage tout aussi monstrueux de Boris Karloff dans le film de James Whale.

Le film s’ouvre sur un personnage pénétrant dans une chambre d’enfant, saisissant un masque de clown, un couteau, et se dirigeant vers la salle de bain où se douche Amy. Cette séquence fait explicitement référence à l’ouverture d’Halloween (Carpenter, 1977), entre autre par l’utilisation appuyée de la caméra subjective. L’autre référence intertextuelle convoquée par Hooper est évidemment Psycho. La fiction contamine donc la première séquence de The Funhouse en amont (fiction filmique renvoyant à Halloween) et en aval (installation d’Amy dans la douche de Psycho). Et pour cause, tout ceci se révèle être une mascarade ; la figure masquée n’est autre que le petit frère d’Amy, Joey, muni d’un couteau en plastique pour faire une farce à cette dernière. Furieuse, Amy sort de sa douche mais Joey s’est déjà réfugié dans le placard de sa chambre. Là, elle espère le surprendre. Pourtant c’est Joey qui a le dernier mot, photographiant Amy avec un appareil polaroïd au moment où celle-ci ouvre la porte.

Cette scène de violence (retenue, Amy ne tue pas son frère) entre deux membres d’une même famille dont l’un se trouve grimé, va se trouver dégradée par deux fois au cours du film, la mort se faisant chaque fois plus inéluctable. La première dégradation a lieu peu de temps après l’arrivée d’Amy et de ses amis à la foire. Dans un chapiteau, un magicien (William Finley) maquillé en vampire, annonce à son public qu’il va, à l’aide d’un pieu, percer un cercueil dans lequel est enfermée une jeune fille. Le pieu s’enfonce dans le cercueil et du sang jaillit soudain, éclaboussant le magicien, laissant croire à l’accident. Mais tout n’était qu’imposture, l’assistante se révélant être la propre fille du magicien. La scène originale est reprise une deuxième fois, lors du meurtre de Madame Zena, la voyante, par le monstre masqué. Enfin le meurtre aboutit, le sang retenu dans la première scène, factice dans la seconde, s’écoule in fine. Cette série de reprises reposant sur une logique binaire de duplication et de décalage, explicite la structure oraculaire travaillant The Funhouse, structure théorisée par Clément Rosset dans Le réel et son double (le thème de l’oracle trouve d’ailleurs une incarnation diégétique en la personne de la diseuse de bonne aventure qui va prédire une destinée tragique aux protagonistes). C’est là le sens des photos polaroïds prises par le frère d’Amy au début du film. Ces clichés figeant Amy dans la stupeur et la terreur sont programmatiques, ils pré-disent (au sens oraculaire du terme) son intégration à venir dans un film (c’est-à-dire une série de photogrammes) où elle sera, à de nombreuses reprises, surprise et terrifiée.

A mieux y regarder, il semble cependant que le film joue moins sur les motifs du double que sur l’illusion que le réel ait un double et puisse être parodié. C’est là le sens de la nature tautologique du masque de Frankenstein porté par le monstre de The Funhouse. La surprise au moment où la créature hooperienne enlève son masque et révèle son visage au grand jour vient moins du fait que ce visage diffère foncièrement du masque (surprise finalement attendue voire espérée) mais au contraire qu’il coïncide à ce point avec lui. Le masque du monstre dans The Funhouse, comme celui de la Mort Rouge chez Poe, trompe justement de ne rien dissimuler. La chute symbolique du masque, qui défait la possibilité de la fiction fantastique (possibilité toujours rassurante, car on sait bien que le monstre de Frankenstein n’existe qu’au cinéma), pour déboucher sur l’horreur du réel (le freak existe bien, lui), est relayé dans The Funhouse par la série de dégradations notée plus haut, où chaque reprise de la scène originelle dépouille un peu plus cette dernière de ses artifices, jusqu’à son inéluctable réalisation (au sens de devenir réel). On passe ainsi d’un meurtre factice et codé comme cinématographique (on l’a vu, la diégèse a priori réaliste de The Funhouse est contaminée d’emblée par l’allusion au cinéma défamiliarisant cette réalité), à un meurtre réel, le paradoxe étant que le réel se fait de plus en plus proche au fur et à mesure que les protagonistes se rapprochent du cœur du carnaval (le train-fantôme), espace traditionnellement codé comme irréel (le train-fantôme est un univers artificiel par définition). C’est donc, en définitive, là où on croyait se trouver à l’abri du réel (dans la foire), à mille lieues de la mort (le train-fantôme convoque tout un attirail terrifiant pour mieux exorciser la peur de mourir), que le réel le plus inéluctable qui soit (la mort) arrive. Parce que l’Histoire y a repoussé une réalité indésirable (l’Indien, le monstre, l’Autre), le carnaval est devenu le lieu d’un réel absolu et irrépressible qui va finir par coïncider avec le destin des protagonistes. Lorsque ceux-ci réalisent leur méprise, qui est de croire le réel ailleurs alors qu’il est ici, le croquemitaine dans le film visionné par les parents d’Amy alors qu’il est dans la foire, il est trop tard : la mort ne bifurque pas. Le trajet circulaire des chariots du train fantôme, mécanique implacable, est là pour le prouver.

The Funhouse éclaire significativement l’analyse des films constituant notre corpus. Car c’est le grand drame de nos protagonistes que de réaliser, mais trop tard, que le chemin sur lequel ils sont embarqués ne les mène pas dans un espace marginal somme toute in-signifiant et dont il serait facile de s’extraire en prétextant l’accident, mais sur le seul terrain qui ne supporte aucune dénégation, le terrain du réel. Un réel monstrueux, certes (l’Histoire n’est jamais rose), mais un réel quand même, avec lequel il faut bien composer, et auquel les personnages du wrong turn movie pensent pouvoir échapper en croyant vivre dans la « norme ». Mais il n’y a –et c’est là le sens profond de ces film- ni norme ni marge, seulement une grande route sur laquelle nous sommes tous embarqués.

Florent Christol


NB : Une version légèrement modifiée de ce texte a été publiée dans le volume Éclats du noir. Généricité et hybridation dans la littérature et le cinéma du monde anglophone, Aix-en-Provence, Publications de l'université de Provence, coll. « Regards sur le fantastique », 2007.



Bio-biblio

Florent Christol enseigne l’anglais et le cinéma au lycée Louis Feuillade de Lunel (Hérault). Ses recherches portent sur les représentations carnavalesques (célébrations d’Halloween et de Noël, charivari, lynchages, figure du clown…) dans la littérature et le cinéma anglo-américain. Membre de la SERCIA, il a publié plusieurs articles sur le sujet dans des revues telles que Simulacres, CinémAction, Lignes de fuite, Les Cahiers victoriens et édouardiens, et dans des ouvrages collectifs, dont le volume Cinéma et Histoire (Michel Houdiard), George Romero, un cinéma crépusculaire (Michel Houdiard), Le Sud à l’écran (Presses de l’Ecole Polytechnique), et les actes du colloque de Cerisy sur Stephen King et l'horreur contemporaine (Bragelonne). Il a consacré un mémoire de DEA aux adaptations cinématographiques de Dr. Jekyll and Mr. Hyde, et prépare une thèse intitulée « Saturne en rétrograde: grotesque et carnavalesque dans le cinéma de Tobe Hooper et le film d’horreur américain contemporain (1974-1986) » à l’Université de Poitiers.



Notes:

[1] Voir Bakhtine, L’oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la renaissance, Gallimard, Paris, 1970.

[2] “The Significance of the Frontier in American History”, in The Frontier in American History, Dover Publications, New York,1996, p. 37.

[3] On trouve ce motif dans Psycho (Hitchcock, 1960), Carnival of Souls (Heck Harvey, 1962), The Haunting (Robert Wise, 1963), Spider Baby (Jack Hill, 1964), 2000 Maniacs (H. G. Lewis, 1964), Brotherhood of Satan (Bernard McEveety, 1971), Deliverance (John Boorman, 1972), The Texas Chainsaw Massacre (Tobe Hooper, 1974), Race with the Devil (Jack Starret, 1975), Death Trap (Tobe Hooper, 1976), The Hills Have Eyes (Wes Craven, 1977), I Spit on Your Grave (Meir Zarchi, 1978), Savage Weekend (David Paulsen, 1978), Tourist Trap (David Schmoeller, 1978) , Motel Hell (Kevin Connor, 1980), Friday the 13th (Sean Cunningham, 1980), Dead and Buried (Gary Sherman, 1981), The Funhouse (Tobe Hooper, 1981). Ce corpus est évidemment provisoire ; il reste, n’en doutons pas, nombre de films à découvrir. L’inclusion de Deliverance peut surprendre (le film est traditionnellement rangé dans la catégorie du cinéma d’aventure), mais en quittant la route pour la rivière, Lewis (Burt Reynolds) et ses compagnons entrent de plain pied dans le territoire sauvage où viendront se perdre de nombreux protagonistes du cinéma d’horreur de cette période.

[4] Si l’on en croit la plupart des ouvrages sur le genre, le film d’horreur classique se caractériserait par l’altérité de sa figure monstrueuse tandis que le film d’horreur moderne mettrait l’accent sur la banalité du Mal. La modernité du genre daterait de 1968, avec la sortie sur les écrans de Night of the Living Dead (Romero) et de Rosemary’s Baby (Polanski). Nous considérons pour notre part (et nous ne sommes pas les seuls), que la vraie transition du classicisme à la modernité se fait avec Psycho en 1960. D’une certaine manière, en déviant de sa route, Marion Crane a précipité le genre dans sa modernité.

[5] Nous avons décidé de baptiser ainsi ce sous-genre en référence au film de Rob Schmidt Wrong Turn (2003), qui se veut comme un hommage aux films constituant notre corpus.

[6] « Le monstre, c’est celui qui enfreint les lois de la normalité. Les uns s’écartent des normes de la nature, normes temporelles ou spatiales (survie de la Momie — échelle de King Kong), les autres des normes sociales », Gérard Lenne, Le cinéma fantastique et ses mythologies, Henry Veyrier, 1985, p.25

[7] Rappelons que la séquence finale du film montre Ed (John Voight) se réveiller en sueur après avoir fait un cauchemar au cours duquel il voit une main hirsute surgir de la rivière descendue au cours du film.

[8] Le monde et ses remèdes, PUF, Paris, 2000, p. 38.

[9] Sur cette question des résidus des fêtes païennes dans les rituels catholiques, voir l’ouvrage de François Laroque, Shakespeare et la fête, Presses Universitaires de France, 1988.

[10] Le monstre était célébré dans les foires médiévales. De par son aspect grotesque, hyperbolique et excessif, il était l’incarnation la plus pure du carnaval, la marge vers laquelle la norme devait tendre (dynamique de décentrement) en se déguisant (dynamique hyperbolique).

[11] Thomas Morton, l’auteur de The New English Canaan, fut ainsi jugé en Angleterre pour avoir voulu réinstaurer des pratiques carnavalesques dans sa colonie de Merry-Mount. Ses orgies païennes, auxquelles étaient conviées certaines tribus indiennes, furent accusées en ces termes : « C’était comme s’ils avaient ressuscité et célébré les fêtes de la déesse romaine Flora, ou les pratiques bestiales des folles bacchanales », W. Bradford, cité par B.F. de Costa, « Morton of Merrymount », Magazine of American History, vol. VIII, n°2, Barnes, New York, 1882, p. 82.

[12] Nous vous renvoyons aux travaux de Lauric Guillaud, en particulier à La Terreur et le sacré, la nuit gothique américaine, Michel Houdiard Editeur, Paris, 2003.

[13] De « The May Pole of Merry Mount » d’Hawthorne à It de Stephen King en passant par « The Masque of the Red Death » de Poe, la littérature américaine ne cesse d’exprimer le rapport antagoniste de l’Amérique à la fête.

[14] A ce sujet, voir Richard Slotkin “Buffalo Bill’s Wild West and the Mythologization of the American Empire”, in Cultures of United States Imperialism, ed. Amy Kaplan and Donald Pease, 164-184. Durham, NC, Duke University, 1993.

[15] Richard Slotkin, The Fatal Environment, The Myth of the Frontier in the Age of Industrialization, Wesleyan University Press, Middletown, Connecticut, 1985, p. 4. Nous traduisons.

[16] Pour une lecture du film d’horreur en tant que « retour du refoulé », nous vous renvoyons au fameux texte de Robin Wood dont on peut trouver une traduction partielle dans le volume collectif Cauchemars Américains (op. cit.)

[17] Fantastique-fiction, coll. Ecriture, PUF, Paris, 1992, p. 182.

[18] « The horror film brings about a confrontation with the abject […] in order, finally, to eject the abject and re-draw the boundaries between the human and non-human. As a form of modern defilement rite, the horror film works to separate out the symbolic order from all that threatens its stability”, Barbara Creed, “Horror and the monstruous-feminine”, The Horror Film Reader, ed. Mark Jancovich, Routledge, London, 2002, p. 69-70.

[19] Caillois, L’homme et le sacré, Paris, Gallimard, 1950, p. 67.

[20] Thoret, « Deadlines, notes sur le statut du hors-champ », op. cit., p. 38.

[21] Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Points, coll. Essais, Editions du Seuil, Paris, 1980, p.11.

[22] « Nous savons que les excréments ont joué un grand rôle dans le rituel de la fête des sots. […] Après l’office religieux, le clergé prenait place sur des charrettes chargées d’excréments ; les prêtes parcouraient les rues et les projetaient sur le peuple qui leur faisait escorte. Le rituel des charivaris comprenait entre autres la projection d’excréments. […] Les privautés scatologiques (essentiellement verbales) jouent un rôle énorme durant le carnaval. Chez Rabelais, l’arrosage d’urine et l’inondation dans l’urine jouent un rôle de premier plan », Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais, op. cit., p.150.

[23] Id., p. 62.

[24] Dans Gunfighter Nation (Wesleyan University Press), Richard Slotkin montre comment la mythologie de la wilderness et de la Frontière infiltrait le discours des soldats envoyés au Vietnam, qui tentaient de trouver par analogie des images permettant de rendre compte des horreurs perpétrées autour d’eux.

[25] Caillois , L’homme et le sacré, op. cit., p. 140.

[26] Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, une expérience américaine du chaos, Dreamland, Paris, p. 89.

[27] Id., pp. 63-64.

[28] Introduction à La Part maudite de George Bataille, Editions de minuit, 1967, p. 12.

[29] Jean Baptiste Thoret, « Energie, Action, Violence : les métamorphoses du cinéma américain dans les années soixante-dix », in Why Not ? sur le cinéma américain, Rouge Profond, p. 43.

[30] « […] le temps use les digues, le fonctionnement d’un mécanisme use et encrasse les rouages. L’homme vieillit et meurt, rénové, il est vrai, dans sa descendance. La nature, à l’approche de l’hiver, perd sa fécondité et semble dépérir. Il faut recréer le monde, rajeunir le système. Les prohibitions peuvent seulement empêcher sa fin accidentelle. Elles sont incapables de le préserver de sa ruine inévitable, de sa belle mort. Elles ralentissent sa décrépitude sans pouvoir l’arrêter. Vient le moment où une refonte est nécessaire. Il faut qu’un acte positif assure à l’ordre une stabilité nouvelle. On a besoin qu’un simulacre de création remette à neuf la nature et la société. C’est à quoi pourvoit la fête », Caillois, L’homme et le sacré, op. cit., p. 125.

[31] « Dans certaines villes de France une coutume, qui s’est perpétuée presque jusqu’à l’époque moderne, voulait qu’à l’époque du carnaval, c’est-à-dire quand étaient autorisés l’abattage du bétail et la consommation de la viande […] on conduisit un bœuf gras par les rues et les places de la cité. […] ce bœuf viollé voué à l’abattoir était la victime du carnaval. C’était le roi, le reproducteur (incarnant la fertilité de l’an) et en même temps la viande sacrifiée, qui allait être hachée et découpée pour fabriquer saucisses et pâtés », L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la renaissance, op. cit., p. 204.

[32] Nous développons cette analyse en détails dans notre essai « Saturne en rétrograde : survivances et dégénérescences carnavalesques dans les films de Tobe Hooper », Simulacres 8 « Ivresses », Rouge Profond, Mars 2003.

[33] Bataille, La Part Maudite, p. 94.

[34] L’analogie entre les meurtres commis par Norman et le processus sacrificiel est explicité dans un passage du roman de Robert Bloch évacué dans l’adaptation d’Hitchcock, où Norman Bates lit un ouvrage sur les mythes aztèques. Une description en particulier attire son attention, qui dépeint un rituel archaïque au cours duquel est perpétré un sacrifice humain.

[35] Eliade, Le mythe de l’éternel retour, archétypes et répétitions, Gallimard, 1969, p. 49.

[36] Le Masque ou le père ambigu, Payot, Paris, 1983, pp. 43-44.

[37] Ernst Bloch, Traces, cité dans Jean-Louis Leutrat, Vie des fantômes, Cahiers du cinéma, Paris, 1995.

[38] The Fatal Environment, op. cit., p. 5.

[39] Le sacré et le profane, op. cit., p. 95.